11/26/2024 | Press release | Distributed by Public on 11/26/2024 10:38
Plus de quatre ans se sont écoulés depuis que le groupe armé Al Kaniat a été chassé de la ville libyenne de Tarhouna, laissant derrière lui des fosses communes, et les victimes et proches de victimes n'ont toujours pas obtenu justice et des réparations adéquates pour les atrocités commises sous leur règne de terreur marqué notamment par des homicides illégaux massifs, la torture et des disparitions forcées, déplore Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public le 26 novembre.
Le rapport intitulé "Every day we die a thousand times": Impunity for crimes against humanity in Tarhouna, Libya souligne qu'il existe des motifs raisonnables de penser qu'Al Kaniat a commis des crimes contre l'humanité comprenant l'homicide, la torture, la disparition forcée et l'emprisonnement illégal, dans le cadre d'une attaque planifiée, systématique et à grande échelle contre la population civile de Tarhouna entre 2015 et 2020, dans le but de conserver le contrôle de cette région.
Une étape importante a été franchie en direction de la justice quand, en octobre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé que des mandats d'arrêt avaient été lancés contre six individus présumés responsables de crimes de guerre perpétrés à Tarhouna ; cependant, ces personnes sont toujours en liberté ou n'ont pas été remises à la Cour.
« Quatre ans se sont écoulés depuis qu'Al Kaniat a été chassé de Tarhouna, mais la population subit toujours les répercussions de la campagne de terreur à laquelle s'est livré ce groupe armé. « Les victimes savent que ces crimes n'auraient pas pu être commis sans la complicité des gouvernements qui se sont succédé, des autorités de facto, de puissantes milices et de groupes armés en Libye, a déclaré Diana Eltahawy, directrice adjointe à Amnesty International pour la région Afrique du Nord et Moyen-Orient.
« Il faut que le gouvernement libyen et les Forces armées arabes libyennes (FAAL) présentent publiquement des excuses aux victimes et aux proches des victimes et veillent à ce que toutes ces personnes reçoivent pleinement réparation, notamment une indemnité financière, sans discrimination, et il leur faut aussi coopérer à l'arrestation des responsables présumés et à leur transfert à la CPI. Les membres de la communauté internationale doivent faire pression sur les autorités libyennes pour qu'elles cessent d'intégrer dans les institutions étatiques des membres de groupes armés ou de milices sans procéder à des contrôles individuels qui permettraient d'exclure ceux qui sont raisonnablement soupçonnés d'avoir commis des crimes de droit international, dans l'attente d'enquêtes judiciaires, et ils doivent veiller à ce que de terribles crimes tels que ceux commis à Tarhouna ne se reproduisent pas. »
Les victimes savent que ces crimes n'auraient pas pu être commis sans la complicité des gouvernements qui se sont succédé, des autorités de facto, de puissantes milices et de groupes armés en Libye
Diana Eltahawy, Amnesty InternationalAl Kaniat a été en mesure de commettre ces atrocités parce qu'il a reçu l'aide du gouvernement d'entente nationale (GEN) reconnu internationalement, puis de son rival, les FAAL autoproclamées, qui lui ont apporté un soutien, une légitimité et un financement.
Entre février 2022 et octobre 2024, Amnesty International a mené des entretiens avec 74 personnes, dont d'anciens détenus, des proches de victimes et des experts médicolégaux. En se basant sur leurs témoignages et sur d'autres éléments de preuve recueillis lors de visites effectuées à Tarhouna et à Tripoli, l'organisation a réuni des informations sur les cas de 159 personnes appartenant à 23 familles élargies qui ont été enlevées par Al Kaniat entre 2012 et 2020, puis tuées illégalement ou soumises à une disparition forcée.
Des familles brisées par des homicides, des disparitions forcées et le déplacement forcé
Al Kaniat a maintenu son emprise violente sur Tarhouna en éliminant tous ses rivaux et détracteurs réels ou potentiels, et en ciblant toute la famille élargie de ces personnes.
Al Kaniat enlevait et tuait illégalement tous les hommes d'une famille. Le groupe ordonnait ensuite, sous la menace d'une arme, aux membres de leur famille élargie de quitter Tarhouna, cette pratique abusive étant constitutive d'un déplacement forcé. Al Kaniat saisissait alors tous les biens et actifs de ces familles. La majorité des enlèvements ont eu lieu entre avril 2019 et juin 2020, quand Al Kaniat opérait sous les ordres des FAAL.
Selon l'Autorité générale pour la recherche et l'identification des personnes disparues, la plupart des 343 corps récupérés et examinés après la défaite d'Al Kaniat portaient des traces de blessures par balle, principalement à la tête ou sur le haut du corps, et la plupart avaient les mains attachées derrière le dos et/ou étaient cagoulés ou avaient les yeux bandés.
Les éléments de preuve dont dispose Amnesty International suggèrent également qu'outre les crimes contre l'humanité, de nombreux actes perpétrés par Al Kaniat, notamment des homicides, la saisie de biens sans nécessité militaire et le déplacement forcé, violent le droit international humanitaire et constituent des crimes de guerre.
Selon l'Association des victimes de Tarhouna, on ignore toujours, à ce jour, ce qu'il est advenu d'au moins 68 personnes capturées par Al Kaniat, et où elles se trouvent.
Les souffrances des familles des victimes ont été aggravées par le fait que les autorités libyennes ne leur ont pas accordé de réparations adéquates. Seules 37 familles ont reçu une aide financière versée par un organisme public chargé d'apporter un soutien aux « martyrs ».
D'autres familles ont déclaré à Amnesty International que leurs démarches pour obtenir une indemnisation se sont heurtées à des obstacles bureaucratiques, des retards et des refus.
Les femmes et les enfants n'ont pas été épargnés
La plupart des personnes enlevées et tuées illégalement faisaient partie de la population civile ; au moins quatre femmes et trois enfants ont subi ce sort.
Al Kaniat a enlevé Abdelali al Fellus et ses quatre fils à leur domicile le 3 avril 2020, et tué illégalement cet homme ainsi que trois des garçons : Mohammed, 10 ans ; Abdelmalik, 14 ans ; et Abdelrahman, 15 ans.
Leur mère, Ghazal Miftah, a appris ces meurtres par celui des enfants qui avait survécu et qui était alors âgé de huit ans, Mouadh : « Ils [Al Kaniat] les ont placés contre la clôture et les ont abattus tous les quatre, et ils ont forcé le petit Mouadh à regarder […] Il est encore traumatisé aujourd'hui. »
Le 5 avril 2020, Al Kaniat a enlevé trois sœurs de la famille Harouda : Hawa (connue sous le nom de Rahma), 46 ans ; Leila (connue sous le nom de Salma), 45 ans ; et Reem, 37 ans, mère de quatre enfants et enceinte à l'époque. Leurs proches pensent qu'elles ont été ciblées en raison des liens de leur frère avec des milices opposées à Al Kaniat.
Les corps des trois sœurs ont été retrouvés ensemble le 22 janvier 2021 dans une fosse commune. La famille n'a reçu aucune indemnité financière, alors même qu'elle a gagné un procès à l'issue duquel la justice a ordonné au gouvernement basé à Tripoli de lui verser 1,5 million de dinars libyens (soit 310 623 dollars des États-Unis).
Torture
Al Kaniat a soumis les personnes qu'il a enlevées à la torture et à d'autres actes inhumains, notamment avec des coups infligés au moyen de tuyaux, de fouets et de crosse de fusil ; des violences sexuelles ; et des décharges électriques.
En février 2022, Amnesty International a visité « Boxat », un complexe agricole qui servait de centre de détention provisoire. Des détenus ont été placés de force dans de petites structures ressemblant à des boîtes, sans accès à des toilettes ni à une nourriture suffisante. Les combattants d'Al Kaniat ont allumé des feux sous ces structures, soumettant les détenus à une chaleur extrême et à la suffocation à cause de la fumée.
« Malek », qui a été détenu à la prison de la police judiciaire à Tahouna, a déclaré que les combattants d'Al Kaniat utilisaient une méthode de torture appelée « balanco » qui consistait à le pendre par les poignets avant de le laisser tomber violemment sur le sol : « Ils ont commencé à m'envoyer des décharges électriques, sur le corps, sur les organes génitaux […] Je leur ai dit tout ce qu'ils voulaient entendre. »
Depuis la prise de Tarhouna par les forces du GEN, en juin 2020, le parquet basé à Tripoli a annoncé des enquêtes et l'émission de 400 mandats d'arrêt. Toutefois, ces enquêtes n'ont pas examiné le rôle, la complicité et la responsabilité dans la chaîne de commandement d'autorités et de chefs de milices qui sont toujours au pouvoir.
Au moins 29 personnes, dont seulement cinq sont détenues, ont été condamnées à mort ou à des peines d'emprisonnement à l'issue de procès inéquitables, tenus devant des tribunaux civils ou militaires dans l'ouest de la Libye, pour une série de crimes liés au règne d'Al Kaniat.
La tristement célèbre milice du Dispositif dissuasif de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, dont on sait, sur la base d'informations bien étayées, l'implication dans des actes de torture et d'autres graves violations, a participé à la collecte de preuves et à la détention de suspects, notamment d'Abdelbari Al Shaqaqi, Recherché par la CPI, ce qui risque de pervertir le cours de la justice.
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