Université de Montréal

09/20/2024 | Press release | Distributed by Public on 09/20/2024 13:13

Vers une intégration des agents conversationnels dans les bibliothèques universitaires

Comment parvenir à intégrer de façon professionnelle l'utilisation des agents conversationnels, tel ChatGPT, dans les bibliothèques universitaires? Quelles sont les compétences que doivent posséder les bibliothécaires afin de les maîtriser pour qu'ils les accompagnent dans leur travail au bénéfice des usagers?

C'est à ce genre de questions qu'ont voulu répondre Teresa Bascik et Stéphanie Pham-Dang, des bibliothèques de l'Université de Montréal, dans un article scientifique qu'elles cosignent dans le dernier numéro de la revue Documentation et bibliothèques.

L'étude se penche sur trois domaines clés des bibliothèques universitaires: le service de référence, la formation des usagers et la création de métadonnées. Dans chacun de ces domaines, les chercheuses ont exploré les potentiels et les limites de ces technologies.

Des «chats (ro)bottés» aux multiples talents, mais…

D'entrée de jeu, les deux bibliothécaires font un parallèle entre les agents conversationnels propulsés par l'intelligence artificielle (IA) et le Chat botté, du conte de Charles Perrault, vu leur éloquence et leur capacité d'anticipation.

Elles leur donnent donc le nom de «chats (ro)bottés», un jeu de mots qui évoque à la fois le personnage rusé du conte, le nom anglais donné à ces logiciels - les chatbots - et la robotisation.

Car si ces agents conversationnels s'avèrent des outils de recherche intéressants - par exemple pour obtenir rapidement des listes de références bibliographiques sur un sujet donné -, ils peuvent avoir tendance à produire des informations plausibles à première vue, mais qui se révèlent fausses.

«Ainsi, lors d'une requête sur les ontologies dans le domaine de l'IA, ChatGPT a fourni des références bibliographiques entièrement fictives, inventant des titres d'articles et des noms d'auteurs tel John Smith, indique Teresa Bascik. Ce phénomène souligne l'importance cruciale de la vérification humaine des informations générées par ces outils.»

Néanmoins, au fil de leurs recherches, les auteures ont constaté une amélioration palpable de la qualité des résultats entre les versions 3.5 et 4 de ChatGPT. Elles suggèrent que ces outils pourraient devenir des assistants précieux pour les bibliothécaires à condition d'être utilisés avec discernement et sous supervision de collègues.

Un allié pédagogique innovant

Pour ce qui est de la formation des usagers, Stéphanie Pham-Dang a expérimenté l'intégration de ChatGPT dans une formation sur la gestion des données de recherche pour des étudiantes et des étudiants en sciences infirmières.

«L'IA a été utilisée pour concevoir un projet de recherche fictif qui a servi de base à des travaux pratiques et les étudiants et étudiantes devaient analyser les réponses de ChatGPT, repérer ses erreurs ou ses omissions, exerçant ainsi leur esprit critique et leur compréhension des enjeux de la gestion des données de recherche», explique Stéphanie Pham-Dang.

Résultat? «Cette approche a permis de rendre la formation plus interactive et engageante, mais il importe de préciser que le succès de telles initiatives repose avant tout sur les compétences pédagogiques des bibliothécaires, la technologie n'étant qu'un outil au service de l'apprentissage», poursuit-elle.

Un catalogueur en herbe à perfectionner

Par ailleurs, les auteures se sont intéressées à l'utilisation des agents conversationnels pour la création de métadonnées, une tâche cruciale mais chronophage pour les bibliothèques. Elles ont ainsi testé CatalogerGPT, un outil basé sur GPT-4 et spécialisé dans la création de notices bibliographiques dans un format propre aux bibliothèques, le MARC 21.

Mais les résultats ont été mitigés.

«CatalogerGPT a démontré sa capacité à produire des notices MARC syntaxiquement correctes à partir d'une simple image de couverture de livre et il a aussi fait preuve d'une certaine connaissance des principes de catalogage en se corrigeant lui-même et en expliquant ses choix», mentionne Teresa Bascik.

«Cependant, l'outil a commis des erreurs significatives, ajoute-t-elle. Par exemple, pour un roman ukrainien, il a attribué un indice de classification correspondant à la littérature russe, révélant des biais potentiels dans ses données d'entraînement. Il a aussi eu tendance à inventer des informations lorsqu'elles n'étaient pas disponibles sur l'image fournie.»

Ainsi, ces outils pourraient devenir des assistants précieux pour l'automatisation du catalogage, mais uniquement sous la supervision étroite du personnel professionnel de l'information qui aura acquis de nouvelles compétences en la matière.

De nouvelles compétences à acquérir

À cet égard, l'article met en lumière l'émergence d'une nouvelle compétence clé pour les bibliothécaires: la maîtrise des requêtes, c'est-à-dire la formulation efficace des requêtes adressées aux agents conversationnels.

«Cette compétence s'apparente à l'art de la recherche documentaire traditionnelle, mais dans un contexte conversationnel, dit Stéphanie Pham-Dang. Elle nécessite de savoir formuler des demandes claires, précises et contextualisées pour obtenir les meilleures réponses possible de l'IA.» 

De même, les auteures insistent sur l'importance d'aiguiser son esprit critique pour évaluer la pertinence et l'exactitude des informations générées par l'IA. Selon elles, les bibliothécaires doivent également cultiver leur capacité d'adaptation et d'apprentissage continu pour rester à jour quant à l'évolution rapide de ces technologies.

Une révolution à apprivoiser

Teresa Bascik et Stéphanie Pham-Dang sont persuadées que les agents conversationnels deviendront des collaborateurs quotidiens des bibliothécaires en augmentant leur efficacité sans pour autant les remplacer.

«On peut imaginer des services de référence de pointe notamment pour le soutien à la recherche, des formations interactives et personnalisées ou encore des communications savantes et des catalogues enrichis automatiquement avec des métadonnées précises pour une découvrabilité optimale», illustrent-elles.

Et selon elles, l'arrivée de ces outils dans les bibliothèques universitaires représente à la fois une occasion d'évolution et un défi qui demandent de faire preuve de prudence.

«C'est la façon dont nous les utiliserons qui déterminera leur portée sur le monde de l'information et de la connaissance: avec une approche réfléchie et éthique, les "chats (ro)bottés" pourraient bien devenir les meilleurs alliés des bibliothécaires dans leur mission de diffusion du savoir… à condition de bien enfiler nos bottes numériques et de danser avec ces nouveaux compagnons!» concluent-elles avec humour.